Regard sur l’histoire et le présent d’un village damné

Publié le 7 Juin 2007

Tous les anciens de la région soutiennent que le premier grand ratissage qu’avait effectué l’armée française dans le cadre de la tristement célèbre « Opération Jumelle » pour venir à bout de la formidable résistance des Kabyles a eu lieu du 9 au 11 octobre 1956 au lieu dit Agouni Uzidhudh près du village Ihnouchene dans la commune d’Azeffoun, en Kabylie maritime.

Durant ces trois jours de combat, l’armée coloniale a utilisé toutes sortes d’armes disponible pour mater la vaillante résistance. Elle avait particulièrement intensifié ses raids aériens et le largage des bombes incendiaires pour brûler la forêt et carboniser vif les résistants. Mais en vain. Les hélicoptères ne cessaient d’évacuer des cadavres et des blessés ainsi que d’amener des renforts et ce alors que les Algériens étaient demeurés encerclés, dans un mouchoir de poche, et sous le déluge de plomb. Au soir du troisième jour l’héroïque ALN a perdu la bataille avec 114 martyrs et un nombre important d’infirmes et de blessés. Mais, les pertes ont été aussi importante du côté de l’ennemi, soutiennent les témoins oculaires.

S’en est suivi alors les décentes punitives des forces coloniales et d’inimaginables exactions sur le petit village. Près de trois ans plus tard, une autre bataille a eu lieu non loin de là, en contre bas de la colline, dans un coin accidenté appelé Timeri. Le 11 janvier 1959, vers midi une centaine de moudjahidines ont été encerclés par l’ennemi, car dénoncé par un « bleu » (relatif aux agents de l’opération d’infiltration des maquis concoctée par Robert Lacoste), demeuré dans leurs rangs.

Au cours de cette bataille qui a duré plus de 24 heures d’échange de tirs les Algériens ont perdu 86 martyrs. « Les armes des chahids restaient sur place, les survivants ne pouvaient les ramasser car il faudrait évacuer les blessés rapidement par la seule brèche ouverte dans la ceinture des soldats français » nous précise l’un des participant Mr Taiati Mohamed connu sous le nom de guerre de Saïd Ouamar.

Aujourd’hui, près d’un demi siècle après ces moments historiques la population patriote et déshéritée du village Ihnouchene réclame toujours des autorités locales et régionales la réalisation des monuments aux morts sur ces lieux de mémoire collective qui porteront gravés sur le marbre les noms des 200 meilleurs enfants du pays qui n’ont pas hésité à donner leurs vie pour que vivra l’Algérie. Une Algérie qui , elle, continue de les ignorer. Eux et leur progéniture.

La preuve ? Pour aller à Ihnouchene il faut emprunter des chemins qui montent vers le sommet des collines. La route qui mène à ce village historique ressemble à une fine cicatrice sur un visage verdoyant et accidenté. Chemin faisant ce qui étonne le visiteur c’est la multiplication des chantiers de travaux de gabionnage. La chaussée s’est affaissée sur plusieurs endroits et le glissement de terrain est en continuel mouvement, nous précisent les habitants. Le chemin menace de rompre et d’enclaver toute la zone. Les travaux de gabionnage n’en finissent plus.

Le village Ihnouchene, construit sur le versant nord de la colline se distingue aussi par le fait qu’il ne compte aucune maison neuve dans toute son étendue. Toutes les habitations sont anciennes couvertes de tuiles rouges et fissurées sinon complètement lézardées et tombées en ruines. Quelques unes l’ont été durant la guerre de libération. Dans ce village, chaque bout de terrain a sa petite histoire.

Les villageois n’investissaient plus dans ce lieu « sinistré par les éboulements et les inondations de niveau 3 -conclusion de l’étude de la commission technique qui a étudié le phénomène- en 1973 » nous apprend un ancien résident surveillé de l’administration coloniale et victime de la torture au chalumeau.

Les fissures des masures même bouchées au ciment rouge se rouvrent la saison d’après. Pour bien illustrer l’ampleur du phénomène le vieillard nous raconte l’histoire d’un abricotier qui a changé trois fois de propriétaire à cause du glissement de terrain en quelques années seulement.

Aujourd’hui, le village qui a donné 36 martyrs est devenu fantomatique presque, habité par seulement quelques dizaines de personnes parmi les plus pauvres de sa population. Ihnouchene est devenu depuis une trentaine d’années un lieu à fuir, aux lendemains incertains. Les reste des villageois ont bénéficié, depuis le rigoureux hiver de 1973, des terrains à bâtir au bord de la mer, au lieu dit Tazaghart.

Mais, l’assiette ne pouvant suffire à tout le monde, plusieurs autres familles y sont demeurées à ce jour vivant et côtoyant le danger à chaque instant. De son côté, l’APC n’a jamais jugé utile de renouveler son geste. Pour ce qui est des achats individuels, tous ceux qui ont des moyens ont quitté le village. Les terrains à bâtir coûtent très chers, 2500 dinars le mètre carré au minimum dans la région.

Aussi contradictoire que cela puisse paraître, ce petit village fuit par ses enfants a cause des inondations vit cependant au rythme d’une pénurie d’eau potable endémique. Pourtant, il est situé juste au dessous d’un château d’eau en activité et la conduite d’acheminement, devant alimenter le village, existe depuis belle lurette. Les actions et réclamations des villageois n’ont jamais réussi à changer d’un iota leur cruel sort.

La pauvre petite communauté résignée qui a tant donné pour le pays souffre le martyrs en silence. Elle vit depuis l’indépendance sans aucun moyen dans le village. Le village ne possède ni dispensaire, ni agence, ni transport. Le tout s’organise comme si l’état n’existe pas…ou pire encore, comme s’il est un ennemi duquel on ne peut rien tirer de bon !

Pour finir, il n’est pas inutile de rappeler le constat d’un sage vieillard et ancien maquisard qui avait dit un jour « j’ai honte de repasser dans certains villages ou j’ai soigné, logé et nourri durant la guerre de libération et de les trouver aujourd’hui dans presque les mêmes conditions d’alors ». No comment.

Rédigé par Hamid

Publié dans #Azeffoun et son histoire

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