Rencontre avec Fellag
Publié le 5 Novembre 2008
Fellag présente sa création pour Les Nuits de Fourvières
Tous les Algériens sont des mécaniciens
Le moteur d’une voiture est le seul endroit du pays où la démocratie s’exerce en toute liberté, égalité, fraternité. On peut être démocrate, apostat, islamiste, évangéliste, athée, hindouiste, blanc, jaune, noir, un idiot international, un imbécile du Djurdjura ou un crétin des Alpes…
Face à un carburateur grippé, une batterie à plat, un radiateur qui fuit, la nature humaine oublie ses discordes et renoue avec la solidarité originelle. La mécanique est l’art de se sortir des situations compliquées de la vie quotidienne. En lorgnant du côté d’Alfred Jarry, on pourrait presque dire qu’elle est l’art des solutions imaginaires. C’est en tout cas ainsi que l’entend Fellag. Selon lui, tous les Algériens sont des mécaniciens. De là à dire que ce sont tous des pataphysiciens il n’y a qu’un pas… qu’il se garde quand même de franchir. Mais l’humour aussi est, à sa façon, une mécanique. En ce domaine, Fellag est passé maître. Dans ce nouveau spectacle, il associe la crise de l’eau en Algérie à l’arrivée massive des Chinois dans le pays, la mécanique automobile, l’utilisation systématique de l’humour noir par ses concitoyens pour « graisser» les rouages de l’espoir et de l’équilibre psychologique qui ont trop souvent tendance à se rouiller.
Présentation
Salim occupait jadis le poste d’intendant général dans un lycée et sa femme
Shéhérazade celui de professeur de français. Faisant partie de la génération des Algériens qui ont été formés en langue française, ils se sont retrouvés tous deux au chômage après que la loi
sur l’arabisation de l’enseignement fut décrétée.
Ils ont dû quitter le logement de fonction qu’ils occupaient à l’intérieur du lycée pour se retrouver avec leurs enfants dans un bidonville de la périphérie
d’Alger.
En bon Algérien « qui se respecte », Salim s’est toujours frotté avec succès à ce sport national qu’est la mécanique. Pour subvenir aux besoins de sa
nombreuse famille, il a ouvert un atelier de réparation automobile.
Avec une verve
toute méditerranéenne, ce couple truculent nous raconte leur vie. Il nous fait également découvrir les personnages hauts en couleurs qui animent ce campiello algérien. Il nous
révèle l’absurde de leur quotidien, il témoigne de l’ingéniosité de chacun pour accéder par la ruse à la modernité et aux technologies nouvelles. Les activités de l’atelier de mécanique, les
techniques farfelues pour fabriquer des paraboles avec des couscoussiers destinées à capter les médias internationaux, les astuces déployées pour faire face aux coupures d’eau imposées depuis
les années 1980 jusqu’à nos jours, font partie des mécanismes de résistance dont Shéhérazade et Salim sont les acteurs. Avec un humour parfois noir et souvent tendre, ils nous entraînent
joyeusement dans cette société où la tradition et la modernité ne cesse de jouer chat et à la souris.
Extrait
Dans la rue, il suffit qu’un chauffeur ouvre le capot de sa voiture pour que des dizaines de passants
s’agglutinent autour et pointent leur nez dans le moteur pour voir ce qui ne tourne pas rond là-dedans. Pendant que quelques-uns demandent au propriétaire malchanceux ce qui s’est passé
exactement et se renseignent sur l’indice qui a précédé la panne, d’autres se penchent pour déterminer la provenance de la faille. Ils passent en revue les différents composants du moteur et
instaurent un débat riche et contradictoire sur les origines et les raisons de l’incident.
Le moteur d’une voiture est le seul endroit du pays où la démocratie s’exerce en toute liberté, égalité, fraternité. Chaque citoyen quelle que soit sa tendance politique ou religieuse est
libre d’émettre, sans risque, son avis et le confronter à ceux des autres. Vous pouvez être démocrate, apostat, islamiste, évangéliste, athée, hindouiste, scientologue, blanc, jaune, noir, un
idiot international, un imbécile du Djurdjura ou un crétin des Alpes… devant un carburateur grippé, une batterie à plat, un radiateur qui fuit, la nature humaine renoue avec la fraternité
originelle.